Du fait de tuer

C'est le problème du fait de tuer, et non pas simplement des bêtes pour s'en nourrir. Un homme n'est pas vertueux parce qu'il ne mange pas de viande ou ne l'est pas moins parce qu'il en mange effectivement. Le dieu de l'esprit mesquin est également mesquin. Sa petitesse se mesure à celle de l'esprit qui dépose des fleurs à ses pieds. Le problème dans son ensemble recouvre les nombreux problèmes apparemment distincts que l'homme a crées à l'intérieur et à l'extérieur de lui-même. Tuer est véritablement un problème aussi vaste que complexe.

Voulez-vous que nous le considérions ?

Il y a diverses façons de tuer, n'est pas ? On peut tuer d'un mot ou d'un geste, tuer par peur ou par colère, tuer au nom d'un pays ou d'une idéologie, ou tuer pour une série des dogmes économiques ou de croyances religieuses. D'un mot ou d'un geste vous pouvez détruire la réputation d'un homme et le liquider par le biais de la diffamation, du ragot, du mépris. Et ne peut-on tuer par la comparaison ? N'est-ce pas tuer un jeune garçon que de le comparer à un autre qui est plus habile ou plus doué ? L'homme qui tue sous l'emprise de la colère ou de la haine est considéré comme criminel et on l'exécute. Et pourtant l'homme qui décide de faire lâcher des tonnes de bombes sur un pays et son habitant fait figure de héros et croule sous les décorations. La tuerie se répand sur la terre entière. Pour la sécurité ou l'expansion d'une nation, on en détruit une autre. On tue les animaux pour s'en nourrir, ou pour les vendre, ou par soi-disant sport. On pratique sur eux la vivisection pour le « bien-être » de l'homme. Le soldat n'existe que pour tuer. On fait des progrès extraordinaires dans la technologie permettant d'exterminer un nombre incalculable d'individus en quelques secondes et à très grande distance. Des nombreux savants se consacrent à cela, et les prêtres bénissent les bombardiers et les vaisseaux de guerre. Et nous détruisons aussi les choux et les carottes pour les manger ; nous tuons les insectes et les nuisibles. Comment déterminer la ligne au-delà de laquelle nous ne devons pas tuer ?

Alors le problème dont nous parlons n'est plus simplement de savoir s'il il faut ou s'il ne faut pas tuer les animaux, mais concerne plutôt la cruauté et la haine qui ne cesse de croître dans le monde et en chacun de nous, car là est le problème, n'est-ce pas ?

Extrait des causeries des années 1948-1970