L’éducation et l’entrainement militaire


Question : Jusqu’à quel point un gouvernement doit-il interve¬nir dans l'éducation, et les enfants devraient-ils recevoir un entraînement militaire ?

Krishnamurti : Ceci soulève une question des plus importantes. Qu’entendez-vous par gouvernement ? Des personnes en auto¬rité, quelques bureaucrates, les membres du cabinet, le pre¬mier ministre, etc. Est-ce cela un gouvernement ? Qui les élit ? Vous, n’est-ce pas ? Vous en êtes responsables, n’est- ce pas ? Vous avez le gouvernement que vous voulez, alors à quoi objectez-vous ? Si votre gouvernement, qui est vous- même, veut imposer un entraînement militaire, pourquoi objectez-vous ? Parce que vous êtes pleins de préjugés de races et de classes, parce que vous avez des frontières éco-nomiques, il vous faut un gouvernement militaire. Vous êtes responsables et non le gouvernement, parce que le gouverne-ment est la projection, l’extension de vous-même — ses va¬leurs sont vos valeurs. Puisque vous voulez une Inde natio¬naliste, vous devez inévitablement avoir la machinerie qui protégera un gouvernement national souverain, avec l’or¬gueil pompeux de sa puissance et de ses possessions ; donc il vaut faut une machine militaire dont la fonction est de préparer la guerre — ce qui veut dire que vous voulez la guerre. Vous pouvez secouer la tête, mais tout ce que vous faites prépare la guerre. L’existence même d’un état sou¬verain, avec ses points de vue nationalistes, doit causer une préparation à la guerre ; chaque général doit faire les plans d’une guerre future, car c’est son devoir, sa fonction, son métier. Naturellement, si vous avez un tel gouvernement, qui est vous-même, il doit protéger votre nationalisme, vos frontières économiques, il faut qu’il y ait une machine mili¬taire. Donc si vous acceptez tout cela, l’entraînement mili¬taire est inévitable. C’est exactement ce qui se produit dans le monde entier. L’Angleterre, qui avait toujours combattu la conscription, aujourd’hui l’a adoptée. Heureusement, dans ce pays-ci qui est si vaste, vous ne pouvez, pour le moment, forcer personne à servir. Vous êtes désorganisés, mais que l’on vous donne quelques années, vous arriverez à vous orga¬niser, et alors vous aurez probablement la plus grande armée du monde, parce que c’est cela que vous voulez. Vous vou¬lez une armée parce que vous voulez un gouvernement sé¬paré, souverain, une race séparée, une religion séparée, une classe séparée avec ses exploiteurs ; je vous assure, vous voulez devenir un exploiteur à votre tour, et alors vous faites durer ce jeu. Puis vous demandez si le gouvernement devrait intervenir dans l’éducation.

Messieurs, il devrait y avoir une classe de personnes qui seraient en dehors du gouvernement, qui n’appartiendraient pas à la société, qui en seraient en dehors, de sorte qu’elles puissent agir comme guides. Ce sont ceux qui châtient, ce sont les prophètes qui vous disent combien vous avez tort. Mais un tel groupe n’existe pas, parce que le gouvernement dans le monde moderne n’appuierait pas un tel groupe, un groupe qui n’aurait aucune activité, un groupe qui n’appar¬tiendrait pas au gouvernement, un groupe qui n’appartien¬drait à aucune religion, caste ou nation. Ce n’est qu’un tel groupe qui pourrait agir comme frein sur les gouvernements. Parce que les gouvernements deviennent de plus en plus puissants, employant de plus en plus d’êtres humains, il y a de plus en plus de citoyens incapables de penser par eux- mêmes. Ils sont enrégimentés et on leur dit quoi faire. Donc, ce n’est que lorsqu’il y aura un tel groupe, un groupe actif, vital, intelligent, ce n’est qu’alors qu’il y aura de l’espoir et le salut. Autrement, chacun de nous deviendra un employé du gouvernement, et de plus en plus le gouvernement nous dira quoi faire et quoi penser — non comment penser. Néces¬sairement un tel gouvernement, avec son nationalisme, son orgueil, ses jalousies et ses haines — conduisant inévitable¬ment à la guerre — doit avoir une machine militaire, donc dans chaque école on doit enseigner le culte du drapeau. Si vous êtes fiers de votre nationalisme, de vos frontières écono¬miques, de votre Etat souverain, de votre préparation à la, guerre, il vous faut avoir un gouvernement qui se mêle d’éducation, qui intervienne dans vos vies, qui vous enrégi¬mente, qui contrôle vos actes. C’est exactement ce que vous voulez. Si vous ne le vouliez pas, vous rompriez intelligem¬ment, vous vous libéreriez du nationalisme, de l’avidité, de l’envie, du pouvoir que donne l’autorité ; et alors, étant intel¬ligents, vous seriez capables de regarder la situation mondiale et de contribuer à l’établissement d’une nouvelle éducation et d’une nouvelle culture.

Séance de questions/réponses à Poona, le 26/9/1948