Etre humain et individu

Dans ce premier chapitre du livre « Se libérer du connu » Krishnamurti donne aux mots
« individu et être humain » un sens tout différent de ce qu'il a donné plus tard en disant : « vous n’êtes pas des individus (individu signifiant indivisible) mais des être divisés, séparés, isolés ».

La question de savoir s’il existe un Dieu, une Vérité, une Réalité (selon le nom qu’on veut lui donner) ne peut jamais trouver de réponse dans des livres, chez des prêtres, des philosophes, ou des Sauveurs. Personne et rien ne peut répondre à cette question si ce n’est vous-mêmes, et c’est pour cela que la connaissance de soi est nécessaire. Manquer de maturité c’est manquer de connassance de soi. Se connaître est le début de la sagesse.

Et qu’êtes-vous ? Ce vous individuel, qu’est-il ? Je pense qu’il y a une différence entre l’être humain et l’individu. L’individu est une entité locale, qui vit dans tel pays, qui appartient à telle culture, à telle société à telle religion. L’être humain n’est pas une entité locale. Il est partout. Si l’individu n’agit que dans un coin du vaste champ de la vie, son action n’aura aucun lien avec la totalité. Veuillez donc tenir présent à l’esprit que ce dont nous parlons est la totalité, non la partie, car dans le plus grand est le plus petit, mais dans le plus petit, le plus grand n’est pas. L’individu est cette petite entité, conditionnée, misérable et frustrée, que satisfont ses petits dieux et ses petites traditions, tandis que l’être humain se sent responsable du bien-être total : de la totale misère et de la totale confusion du monde.

Nous, les êtres humains, sommes ce que nous avons été pendant des millions d’années, colossalement avides, envieux, agressifs, jaloux, angoissés et désespérés, avec d’occasionnels éclairs de joie et d’amour. Nous sommes une étrange mixture de haine, de peur et de gentillesse ; nous sommes à la fois violents et en paix. Il y a eu un progrès extérieur depuis le char à boeufs jusqu’à l’avion à réaction, mais psychologiquement l’individu n’a pas du tout changé et c’est l’individu qui, dans le monde entier, à crée les structures des sociétés. Les structures sociales extérieures sont les résultantes des structures intérieures, psychologiques qui constituent nos relations humaines, car l’individu est le résultat de l’expérience totale de l’homme, de sa conscience et de son comportement ? Chacun de nous est l’entrepôt de tout le passé. L’individu est l’humain qui est toute l’humanité. L’histoire entière de l’homme est écrite en nous-mêmes.

Pouvons nous donc, vous et moi, provoquer en nous-mêmes - sans aucune influence extérieure, sans nous laisser persuader, sans crainte de punition - pouvons nous provoquer dans l’essence même de notre être une révolution totale, une mutation psychologique, telle que la brutalité, la violence, l’esprit de compétition, l’angoisse, la peur, l’avidité, et toutes les manifestations de notre nature qui ont construit cette société pourrie où nous vivons quotidiennement, cessent d’exister ?

Etre capable de regarder tout cela, me semble être la seul chose dont nous ayons besoin, car lorsque nous savons regarder, l’ensemble devient très clair et regarder n’exige ni philosophie ni maître. Il n’est guère utile qu’on vous dise « comment » regarder : regardez, et voila tout.

Extrait de « Se libérer du connu »