La nécessité d'être seul

Avez-vous jamais remarqué à quel point la plupart des gens sont seuls ? Et pour échapper à la solitude nous courons au temple, à l'église, à la mosquée, nous nous habillons, nous prenons part à des mondanités, nous regardons la télévision, nous écoutons la radio, nous lisons et ainsi de suite.

La solitude, savez-vous ce que c'est ? Pour certains d'entre vous, le terme n'est peut-être pas très familier, mais le sentiment, lui, vous le connaissez très bien. Essayez d'aller vous promener tout seul, ou de rester sans rien à lire, sans personne à qui parler, et vous verrez comme l'ennui vient vite. C'est un sentiment qui vous est familier, mais vous ne savez pas pourquoi vous vous ennuyez, vous n'avez jamais cherché à le savoir. Si vous explorez un peu la question, vous verrez que la cause de l'ennui n'est autre que la solitude. C'est pour échapper à la solitude que nous voulons être ensemble, être divertis, avoir des distractions en tout genre : gourous, cérémonies religieuses, prières ou le dernier roman paru. Etant intérieurement seuls, nous devenons de simples spectateurs de la vie; et nous ne pouvons devenir acteurs que si nous comprenons la solitude et la dépassons.

En définitive, la plus part des gens se marient et sont en quête d'autres relations sociales parce qu'ils ne savent pas vivre seuls. Non qu'il faille obligatoirement vivre seul; mais si vous vous mariez parce que vous voulez être aimés, ou si vous vous ennuyez, et que votre travail est pour vous un moyen de vous oublier, vous vous apercevrez alors que toute votre vie n'est qu'une quête de distractions sans fin. Très peu réussissent à transcender cette formidable peur de la solitude; pourtant il le faut car le véritable trésor se trouve au-delà. Il y a une immense différence entre le sentiment de solitude et la solitude en tant que fait. Certains des plus jeunes élèves ignorent peut-être encore le sentiment de solitude, mais les personnes plus âgées le connaissent, ce sentiment d'être complètement coupé de tout, ou d'avoir peur, soudain, sans cause apparente. L'esprit connaît cette peur lorsque, l'espace d'un instant, il se rend compte qu'il ne peut compter sur rien, qu'aucune distraction ne peut lui ôter cette sensation de vide qui vous enferme en vous-mêmes. C'est cela le sentiment de solitude.

Mais la solitude assumée est tout autre chose : C'est un état de liberté qui naît lorsqu'on le comprend. Dans cette état de solitude assumée vous ne comptez plus sur personne au plan psychologique, vous n'êtes plus en quête de plaisir, de réconfort, de gratification. C'est seulement alors que l'esprit est complètement seul, et nul autre que cet esprit-là n'est créatif.

Faire face aux affres de la solitude, à cet extraordinaire sentiment de vacuité que nous connaissons tous, et, quand il survient, ne pas avoir peur, ne pas allumer la radio ni se noyer dans le travail ou courir au cinéma, mais regarder la solitude en face, l'explorer, la comprendre : tout cela fait partie de l'éducation. Aucun être humain n'a jamais échappé ni n'échappera jamais à cette angoisse qui fait frémir. C'est parce que nous essayons de la fuir au travers des distractions et de gratifications de tous ordres - le sexe, Dieu, le travail, l'alcool, l'écriture poétique ou la répétition de certains mots appris par coeur - que nous ne comprenons jamais cette angoisse lorsqu'elle s'abat sur nous. Alors, quand la douleur de la solitude vous assaille, affrontez-la, sans songer le moins du monde à la fuir. Si vous fuyez, jamais vous ne la comprendrez, et elle sera toujours là à vous attendre au tournant. Alors que si vous comprenez la solitude et allez au-delà, vous vous apercevrez que vous n'avez plus besoin de fuir, plus besoin d'être gratifiés ni divertis,

Extrait de : Le sens du bonheur, page 243