Le neuf terrassé par le passé

Question : Je sens que ce que vous dites est neuf et que cela me vitalise. Mais le passé m'envahit et déforme son effet. Ce qu'il y a de neuf semble être terrassé par le passé. Que dois-je faire ?

Krishnamurti : La pensée est le résultat du passé qui agit dans le présent; le passé ne cesse de balayer le présent. Le présent, le neuf est sans cesse absorbé par le passé, par le connu. Pour vivre dans le présent éternel, il faut mourir au passé, à la mémoire. En cette mort est le renouveau intemporel.

Le présent s'étend au passé et au futur; sans la compréhension du présent la porte du passé est fermée. La perception du neuf est si fugace; à peine est-elle ressentie que le rapide courant du passé la balaye et alors le neuf cesse d'être. Mourir aux nombreuses journées du passé, renouveler chaque journée n'est possible que si nous sommes capables d'être passivement lucides. En cette lucidité passive il n'y a pas de récolte à faire; en elle est une intense immobilité en laquelle le neuf ne cesse de s'ouvrir et de se dérouler, et en laquelle le silence ne cesse de s'étendre sans mesure.

Nous essayons d'utiliser le neuf comme moyen de briser ou, au contraire, de renforcer le passé et nous corrompons ainsi le présent vivant. Le renouveau du présent engendre la compréhension du passé. C'est le neuf qui confère la compréhension et dans cette lumière le passé acquiert une signification fraiche et vivante. Lorsque nous écoutons quelque chose de neuf ou que nous l'approuvons par expérience, notre réaction instinctive est de le comparer au vieux, à l'expérience passée, à un lointain souvenir. Cette comparaison renforce le passé, déforme le présent, de sorte que le neuf ne cesse de devenir le passé, la mort. Si le penser-sentir était capable de vivre dans le présent sans le déformer, le passé serait transformé en un présent éternel.

Pour quelques-uns d'entre nous ces causeries et ces discussions ont pu amener une compréhension neuve et vivante; ce qui est important c'est de ne pas mettre le neuf dans une vieille structure de pensée ou d'expression. Laissez-le demeurer neuf et pur de toute contamination. S'il est vrai, il rejettera le vieux, le passé, par sa lumière très abondante et créatrice. Le désir de rendre durable et utile le présent créateur lui ôte toute valeur. Laissez ce qui est neuf vivre sans s'ancrer dans le passé, sans subir l'influence déformante des peurs et des espoirs.

Mourez à votre expérience, à votre mémoire, mourez à vos préjugés plaisants ou désagréables. Dans votre mort est l'incorruptible. Cela n'est pas un état ou il n'y a rien, mais un état créateur. C'est ce renouveau qui, si on le lui accorde, dissipera nos problèmes et nos tourments quelques compliqués et douloureux soient-ils. Ce n'est que dans la mort du moi qu'est la vie.

Mourez à votre expérience, à votre mémoire, mourez à vos préjugés plaisants ou désagréables. Dans votre mort est l'incorruptible. Cela n'est pas un état où il n'y a rien, mais un état créateur. C'est ce renouveau qui, si on le lui accorde, dissipera nos problèmes et nos tourments si compliqués et douloureux soient-ils. C'est n'est que dans la mort du moi qu'est la vie.

Entretiens à Ojai, 1945-1946