De quoi sommes-nous responsables ?

Q : Il me semble que vous avez dit que nous sommes responsables de la société toute entière. Je n'ai pas compris très exactement ce que vous voulez dire. Sommes-nous responsables des guerres et ainsi de suite ?

K : Vous ne croyez pas que nous soyons responsables des guerres ? Notre façon de vivre indique que nous sommes brutaux, agressifs, que nous avons des préjugés violents, nous nous sommes divisés en nationalités, en groupes religieux, nous nous haïssons les uns les autres, nous nous détruisons dans nos affaires, tout ceci s'exprime forcément par la haine, par des guerres, très évidemment. Vivre en paix signifie vivre paisiblement, chaque jour, n'est-ce pas ?

Q : Il me semble qu'il y a des gens qui sont plus responsables que d'autres.

K : Ah ! Ce monsieur dit qu'il y a des gens qui sont plus responsables de toutes ces laideurs que vous et moi. C'est une façon agréable et heureuse de s'en sortir. Mais, malheureusement, ce n'est pas le cas; quand vous êtes Allemand et moi Russe, quand vous êtes communiste et moi capitaliste, est-ce que nous ne sommes pas prêts à nous prendre à la gorge, ne sommes-nous pas dressés l'un contre l'autre ? Vous voudriez voir les choses continuer sans changement, sans trouble, parce qu'il se trouve que vous avez un peu d'argent, un enfant, une maison, et vous dites : « Pour l'amour de Dieu qu'on ne change rien ! » et tout ce qui change, qui vous trouble, vous le haïssez. Est-ce que vous n'êtes pas responsable quand vous vous refusez à tout changement ? Et puis vous dites, ma religion, mon Bouddha, mon Christ, mon n'importe quoi, voilà mon Dieu, en lui j'ai tout investi, toute ma sécurité et ma souffrance, et vous ne voulez pas être troublé. L'homme qui pense tout autrement que vous, vous le haïssez. Vivre paisiblement chaque jour signifie que vraiment vous êtes sans nationalité, sans religion, sans dogme, et sans autorité. Etre en paix signifie aimer, être bon, et si vous n'êtes pas tout cela, vous êtes alors responsable de toute la confusion.

Saanen, 9 juillet 1967