La solitude est-elle une maladie ?

Question : Je suis intensément seul et j'ai l'impression d'être en conflit constant dans mes relations humaines à cause de cette solitude. Est-ce une maladie et dois-je essayer de guérir ? Pouvez-vous m'aider à guérir ?

Krishnamurti : Le chaos actuel est un produit de cette douloureuse solitude, de ce vide, car la pensée elle-même est devenue vide et n'a plus de signifi¬cation. Les guerres et la confusion grandissante sont le résultat de notre vie et de nos activités vidées de leur contenu. Que nous en soyons conscients ou non nous sommes, pour la plupart, dans l'isolement; plus nous en devenons conscients, plus l'isolement est intense, brûlant, douloureux. Les personnes qui manquent de maturité se satisfont facilement de leur vide, mais plus on en devient conscient, plus le problème grandit. Il n y a pas d'évasion à la douloureuse solitude et l'on ne peut pas, non plus la vaincre par l'irréflexion et l'ignorance. L'ignorance, tout comme la superstition, provoque un certain plaisir qui ne fait qu'augmenter le conflit et la douleur. Nous sommes, pour la plupart, intensément isolés et l'angoisse de cet isolement est pénétrant et endort l'esprit-cour. Le gouffre de cette souffrance semble s'étendre sans fin et nous cherchons constamment à nous en évader, à le recouvrir, à le remplir consciemment ou inconsciemment par l'espérance, la foi ou des amusements et des distractions.

Nous essayons de recouvrir notre angoisse par des activités, par le plaisir des connaissances acquises, par des croyances, par toutes sortes de stupéfiants religieux ou profanes. Notre recherche d'un refuge, d'un réconfort, n'a pas de fin; les objets, les relations humaines, les connaissances sont des voies d'évasion pour cette angoisse persistante de la solitude. Le mouvement de va-et-vient entre une évasion et l'autre est censé être un progrès; nous condamnons l'homme qui remplit ce vide avec de l'alcool ou des amusements, mais de celui qui cherche une évasion permanente, qu'il appelle noble, nous disons qu'il mène une vie spirituelle.

Peut-on, d'une façon durable, échapper à ce vide ? Nous essayons de différentes façons, de combler ce gouffre mais nous ne cessons d'en être conscients. Tous nos remèdes, quelque nobles et agréables qu'ils puissent être ne sont-ils pas des moyens d'éviter le problème ? Nous pouvons trouver des encouragements temporaires mais l'angoisse revient aussitôt. Pour découvrir la réponse correcte et durable à la solitude nous devons d'abord cesser de fuir et cela est très difficile, car nos pensées ne cessent de chercher un refuge, une évasion. Ce n'est que lorsque l'esprit-cour peut accepter ce vide inconditionnellement et s'y abandonner sans aucun mobile, sans aucun espoir, ni aucune peur, que cette transformation peut s'opérer.

Si-vous désirez vraiment comprendre le problème de !a solitude et sa grandeur, les valeurs du monde doivent être mises de côté, car elles ne sont que des façons de se distraire du Réel. Ces distractions et leurs valeurs sont le résultat de votre désir d'échapper à votre vide et elles sont, par conséquent, vides elles aussi. Ce n'est que lorsque l'esprit-cour s'est dénudé de toutes ses prétentions et de ses formulations que ce vide douloureux peut être dépassé.

Entretiens à Ojai, 1945-1946